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Entretien avec le Directeur Général des Hydrocarbures sur la situation et les perspectives du secteur de l’énergie en Mauritanie

La Mauritanie est un pays futur producteur et exportateur de gaz naturel grâce aux réserves découvertes récemment dans le bassin côtier, notamment les champs de GTA et BirAllah.

L’exploitation de la première du champ GTA, partagé avec le Sénégal, est prévue à la fin de cette année 2023, avec une protection totale de 2,5 tonnes de GNL par an.

Le gouvernement mauritanien prévoit également le lancement de nouveaux projets gaziers et pétroliers dans les années avenir, dont principalement BirAllah et Banda.

Egalement les travaux d’exploration en cours pourraient confirmer de nouvelles découvertes d’hydrocarbures dans les côtes mauritaniennes.

Dans ce cadre, TAQA a été honoré par une interview avec Moustapha Bechir, directeur général des hydrocarbures, au ministère du pétrole, des mines et de l’énergie, dans laquelle nous avons abordé la situation et perspectives du domaine de l’énergie en Mauritanie.

TAQA: L’exploitation de la phase 1 du champ GTA est prévue au 4ème trimestre de cette année. Selon vous, le temps est-il encore suffisant pour achever les travaux de développement ?

Effectivement, nous sommes toujours en ligne avec le planning qui prévoit une première gouttelette de gaz entre la fin de l’année 2023 et le début de l’année 2024. A noter dans ce sens, deux jalons importants réalisés ; le premier est le départ du FPSO (Floating Production Storage and Offloading), installation chargée du prétraitement du gaz, du stockage et de l’export du condensat de son chantier de fabrication de Cosco à Quidong en Chine le 20 janvier 2023. Le deuxième est son départ de Singapour le 12 mai 2023 en destination de nos eaux territoriales après avoir y séjourné pour effectuer quelques travaux supplémentaires.

Une autre date attendue est le départ, prévu au dernier trimestre de l’année 2023, du FLNG (Floating liquefied natural gas) qui est l’unité de liquéfaction, de stockage et de chargement de LNG de Singapour vers le hub à la frontière mauritano-sénégalaise. La présence des deux navires sur site et l’achèvement des travaux de connexion dans les délais permettra de respecter la date cible du first gas.

Concernant les autres composantes du projet :  les quatre puits nécessaires pour la première phase sont déjà forés, finalisés et nettoyés (clean up) depuis janvier 2023, ils sont prêts pour la production. L’installation des équipements sous-marins avancent ; le bateau Amazon est sur place pour compléter la dernière partie de la pose des pipelines dans les eaux profondes. Donc nous sommes confiants que le gaz sera introduit dans les installations avant la fin de cette année 2023. Il y aura une période de test (commissionning) avant la réception définitive du projet pour lancer officiellement la phase commerciale de l’exportation du gaz vers les marchés internationaux.

TAQA: Quand prévoyez-vous la signature de la décision finale d’investissement pour la deuxième phase du projet GTA ?

Pour la deuxième phase du projet GTA, il est important de signaler que les Etats mauritanien et sénégalais et les partenaires du projet Bp, Kosmos Energy, SMH et Petrosen) ont sélectionné février dernier un concept de développement de la phase 2 de GTA. Actuellement en cours d’évaluation, ce concept sera progressé à travers des études de préfaisabilité et de faisabilité (FEED) en vue d’arriver à une décision finale d’investissement (FID) ciblée au courant de l’année 2025.

Basé sur le système GBS, qui est une structure gravitationnelle qui assure à la fois les fonctions de stockage et de liquéfaction. Il va aussi reposer sur la capacité disponible au niveau du FPSO, pour optimiser les capex. Donc, nous n’allons pas investir dans de nouvelles installations de prétraitement, parce que nous allons utiliser la capacité offerte par le FPSO. Cette plate-forme va faire assurer donc le rôle de la liquéfaction en parallèle bien sûr avec le FLNG de la première phase.

La phase d’évaluation en cours va nous permettre d’arrêter le volume final de la production, qui va être entre 2,5 et 3 millions de tonnes par an. Le processus menant au FID peut prendre en moyenne 36 mois, dépendant de certains paramètres d’ingénierie, économiques et financiers.

TAQA: Comment évaluez-vous le contenu local réalisé par les entreprises nationales au cours de la première phase du développement du champ GTA ?

Il convient ici de rappeler que la première phase du projet GTA a été réalisée en mode fast track, mode accéléré, parce que les deux Etats et les opérateurs ont décidé d’accélérer les travaux de cette phase, pour établir un hub régional de LNG. Vous vous rappelez des jalons records qui ont été réalisés au niveau de cette phase ; la signature de l’accord de coopération inter-Etats ACI en février 2018, la déclaration de la FID en décembre 2018, le bouclage du financement du projet et de son marketing dans les mois suivant…,

De ce fait, le projet a été mis en exécution avant que les deux pays (Mauritanie et Sénégal) soient préparés pour offrir les services nécessaires à même d’augmenter le contenu local. C’est-à-dire en l’absence d’un cadre légal assez élaboré pour tirer le maximum de profits mais aussi l’absence de sociétés locales capables d’assurer des services conformément aux standards exigés par les sociétés pétrolières. Cependant, cette phase a permis d’apporter un certain contenu local, chiffré à plus de 200 millions de dollars, aussi bien au niveau de l’exploitation de la carrière, qui a été exploitée selon les dernières technologies et normes utilisées en la matière. Des travaux importants ont été réalisés aussi au niveau du port de Nouakchott PANPA avec le dragage des quais 5 et 6 , la viabilisation de 20 hectares pour le stockage des roches. Aussi plus de 100 sociétés nationales ont été impliquées dans les travaux de la logistique effectués en Mauritanie pour le projet.

TAQA: Quelles sont les principales actions que vous comptez mettre en œuvre pour développer le contenu local ?

Nous sommes en train d’élaborer une loi cadre pour le développement du contenu local. Cette loi assurera une participation active des acteurs privés dans les opérations de développement des projets gaziers et pétroliers. Nous allons créer également un comité de suivi du contenu local, qui sera chargé des tâches de suivi, d’évaluation et de mise en œuvre des projets visant à améliorer les performances des entreprises locales.

Cet organe, qui sera composé de tous les ministères concernés, surveillera le respect de cette loi et les engagements annuels pris par les opérateurs étrangers en matière de développement du contenu local ; les opportunités d’emploi pour la main-d’œuvre nationale, la formation et le transfert de compétences en faveur des cadres et les employés mauritaniens, ainsi que la participation des entreprises nationales dans les travaux de développement et d’exploitation des ressources naturelles.

TAQA: La FID de BirAllah étant prévue pour 2025, avez-vous déjà une prévision pour le début de l’exploitation et la quantité de production attendue ?

Concernant le champ de BirAllah, nous avons signé un contrat d’exploration production CEP, avec BP et Kosmos Energy, portant sur une période de 30 mois. Pendant cette période nous devons progresser les études de préfaisabilité afin de prendre un FID en 2025. La particularité de ce projet est la décision prise par le Gouvernement de tester la faisabilité d’utiliser les infrastructures du port de N’Diago (onshore) pour abriter les installations du projet. Actuellement nous conduisons les études techniques qui visent à évaluer les travaux nécessaires à la mise à niveau du port et à chiffrer les coûts y afférent pour avoir d’ici octobre 2023, une vision claire sur la faisabilité de la réalisation du projet dans la zone du port de N’Diago. Cette vision permettra d’aller vers des études détaillées du concept spécifique du projet. Si les études confirment les aspects techniques liés à l’installation du projet au port, on espère accélérer les travaux, sachant que la réalisation de telles infrastructures de développement prendra 4 à 5 ans. Donc si on arrive à prendre la FID en 2025, on pourrait achever les travaux de développement à l’horizon 2030.

TAQA: Récemment, vous avez préparé un  » Gas Master Plan » qui comprend une vingtaine de projets dans des domaines différents. Quels sont les principaux projets que vous comptez lancer à court terme ?

Le schéma directeur du gaz  » Gas Master Plan » est vraiment l’élément essentiel qui identifie les différentes options de monétisation du gaz et qui permet aussi d’hiérarchiser ces options. A l’issu de ce schéma, nous avons élaboré une feuille de route pour identifier les projets potentiels et les mettre en œuvre, selon un plan sur le court, moyen et long terme.

Les projets prioritaires sont le « gaz to power » ; parce qu’on a besoin d’une énergie à la fois propre, fiable et abordable, et le gaz pourrait satisfaire ces critères. Ensuite, on aura le « gaz to mines » qui est très important aujourd’hui. Avec les enjeux de la décarbonation et la gestion de l’empreinte du carbone, toutes les industries adoptent de nouveaux standards, de nouveaux procédés qui visent à minimiser l’impact du carbone. Dans ce cadre, notre vision énergétique intégrée est de créer une synergie entre les secteurs miniers et gaziers. Nous comptons à travers des projets combinés apporter le gaz du sud au centre minier au nord pour faire de la transformation et réduire l’utilisation des autres fossiles, qui ont une empreinte carbone plus forte. Donc le « gaz to power » et le « gaz to mines» sont les options prioritaires. De même, le « gaz to transport » est aussi prioritaire et nous planifions de lancer des projets dans ce domaine, en substituant le diesel utilisé par les locomotives de la SNIM par exemple, avec le gaz (LNG). On a aussi l’intention d’étudier un projet pilote pour substituer l’essence utilisée par la flotte de la pêche artisanale par le LNG. Ces projets prioritaires permettront de réduire l’émission des gaz à effet de serre ainsi que la facture énergétique du pays.

Ce sont les projets à court terme, et puis bien sûr plus on avance plus on a davantage de ressources gazières disponibles et d’autres options seront réalisées. Quand on regarde au début, c’est le « gaz to power », mais à long terme c’est tout le spectre industriel permis par l’industrie pétrochimique qui sera couvert.

TAQA: Une part quotidienne de gaz sera allouée à la Mauritanie à partir de la production du champ GTA, comment comptez-vous exploiter cette part, en l’absence de gazoducs pour l’acheminer vers le marché local ?

Pour le gaz de GTA, cette première quantité de 35 millions pieds cubes par jour, a été à la base discutée pour alimenter la centrale duale de 180 MW de Nouakchott, donc l’idée était de construire un gazoduc qui achemine le gaz directement vers la centrale. Aujourd’hui avec l’avancement sur le projet de BirAllah et avec aussi le besoin potentiel des projets miniers pour le gaz et en intégrant le besoin, à l’horizon de 2026, d’une nouvelle centrale électrique à cycle combinée, plusieurs options sont actuellement en cours d’affinement. Nous avons lancé une étude pour la réalisation de ce gazoduc, avec l’option d’amener le gaz de GTA soit vers N’Diago ou Nouakchott ou Nouadhibou ou un autre point d’atterrage sur le chemin. Donc l’étude va explorer ces différentes options pour nous aider à prendre une décision par rapport à ce gazoduc ; son dimensionnement et son point d’arrivée. En même temps nous avons aussi lancé une autre étude différente, pour la construction d’une centrale de 300 MW CCGT et son emplacement convenable.

Probablement la solution qui serait la plus optimale, en prenant en compte la part issue de la première et la deuxième phase de GTA et du projet BirAllah, est de faire une grande centrale électrique à N’Diago, qui peut servir à la fois les besoins du pays en électricité et fournir aussi la demande des projets qui seront développés dans cette zone.

TAQA: Comment évaluez-vous la récente expérience d’exploitation pétrolière du champ de Chinguetti ?

Le champ Chinguetti était une école pour la Mauritanie et même la sous-région. Il a permis au pays d’acquérir la culture pétrolière et de capitaliser une expérience assez importante pour la gestion des projets énergétiques. Le champ a été développé, mis en production et abandonné en moins de 15 ans. En général, on n’a pas souvent la chance de voir toutes les étapes par lesquelles passe un champ c’est-à-dire l’évaluation, le développement, la production et l’abandon. Aujourd’hui les opérations d’abandon sont complètement terminées et ont été réalisées conformément aux standards les plus strictes en termes de protection de l’environnement et de bouchage des puits. Le Gouvernement avait exigé, l’application de la norme norvégienne NORSOK D10, qui est l’une des nomes les plus contraignantes, pour le plan d’abandon et de réhabilitation du site.

Cette expérience d’abandon était très intéressante et a permis de tirer les leçons de notre première expérience d’exploitation pétrolière, leçons qui ont servi à améliorer certaines dispositions des Contrats d’Exploration Production.

TAQA: Y a-t-il de nouveaux progrès concernant l’exploitation du champ de gaz naturel de BANDA ?

Le champ de BANDA reste toujours un projet vivant malgré les multiples tentatives qui n’ont pas encore abouti, la dernière était avec la société NFE, avec laquelle nous avons signé un MOU en 2021 et avancé vers le concept d’ingénierie dans l’objectif de prendre une décision finale d’investissement en 2022, mais malheureusement le projet n’a pas pu être mené à bout.

Cependant BANDA reste toujours à l’ordre du jour. Nous continuons à explorer avec d’autres partenaires les différentes options de son exploitation, notamment le « gaz to power ». Aujourd’hui nous avons quelques options et nous sommes en train de les évaluer.

TAQA: Quel est l’état d’avancement des travaux d’exploration pétrolière et gazière en cours dans le bassin côtier mauritanien ?

Nous avons actuellement 3 sociétés pétrolières présentes dans le bassin côtier : Shell, au niveau du C10 et du C2, TotalEnergies au niveau du C15 et Capricorn au niveau de C7. Ces trois opérateurs ont déjà réalisé de vastes études sismiques, à travers lesquelles ils ont identifié quelques potentialités. Je dirais que Shell est assez avancée aujourd’hui avec un forage d’exploration programmé cette année dans le bloc C10. Le rig a été déjà contracté et le spud devra intervenir dans le dernier trimestre de l’année en cours. Si ce forage s’avère positif, il permettra de débloquer quelques opportunités au niveau des bloc C10 et C2, et ouvrira de nouvelles perspectives pour le pays, parce qu’il va tester un nouveau système pétrolier dans le bassin côtier mauritanien. TotalEnergies a aussi un programme de forage, suivant sa décision de passer en 2nd phase d’exploration qui devra intervenir dans les mois à venir.

Ce sont trois blocs dans le bassin côtier dans lesquels les travaux d’exploration sont en cours cette année.

Notre vision stratégique du secteur vise à accélérer les travaux d’exploration et de développement au niveau du bassin côtier, ainsi qu’au niveau du bassin de Taoudenni. C’est dans ce cadre que nous avons apporté des modifications sur le code des hydrocarbures en 2021 pour pouvoir instaurer un régime incitatif spécial applicables sur certaines zones promotionnelles compte tenu de leur éloignement des infrastructures ou de leurs challenges technologiques. Nous pensons que c’est le bon timing pour adopter une approche promotionnelle qui permet d’attirer de nouveaux opérateurs capables de mettre en évidence les potentialités et de les développer rapidement dans ce contexte de transition énergétique.

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